Malgré leurs succès, les personnes visées par le syndrome de l’imposteur sont convaincues que leur réussite est due à un concours de circonstances. Ou encore, à leur travail acharné ou à leurs relations professionnelles. Il ne leur vient pas à l’idée que leurs compétences soient au cœur de leur succès. Elles sont persuadées de tromper le monde. Elles vivent dans la crainte qu’on ne découvre la vérité. Avec de telles croyances, il devient inévitable qu’elles finissent par créer des situations qui valident leurs sentiments.
Des risques pour Laurence
Si on réfère à ses résultats au sein de l’équipe des TI, on peut facilement qualifier Laurence de personne très performante. Pourtant, secrètement, elle a l’impression qu’elle n’est pas assez qualifiée. Ou encore, qu’elle ne mérite pas de faire partie de cette équipe. Le syndrome de l’imposteur de Laurence peut devenir contre-productif. En effet, elle doit démasquer à temps le pouvoir dévastateur de ses croyances. Laurence pourrait devenir perfectionniste à l’extrême. Elle pourrait se mettre à surinvestir en devenant bourreau de travail. Ou encore, se fixer des objectifs trop élevés, irréalistes. Au final, cette voie de dépréciation pourrait la conduire à remettre sa démission. Ou à vivre un burnout ou même une dépression.
Une réussite colorée par le doute
Jeune à l’école, Sarah a toujours considéré ses facilités comme une absence de mérite. Elle ne faisait pas de grands efforts pour très bien réussir ses travaux. Elle se disait que les enseignants l’aimaient bien. Ou qu’ils avaient probablement négligé de bien corriger ses travaux. Et qu’ils finiraient par se rendre compte qu’elle n’était pas si bonne que ça. La facilité de Sarah au plan académique s’est graduellement transformée en syndrome de l’imposteur. Combien de fois a-t-elle souhaité être confondue avec les murs des corridors afin qu’on ne la démasque pas?
Sa réussite générait en elle incompréhension, stress et absence totale de fierté. Bien que son complexe ait changé de visage sur le marché du travail, il n’a pas cessé d’accompagner secrètement sa vie professionnelle. Alors qu’elle venait d’être sélectionnée pour un nouvel emploi à l’étranger, elle me dit : « Ils ont dû intervertir les CV et le mien est arrivé sur le dessus de la pile par erreur! »
Des compliments déniés
À la suite d’une présentation où Claude avait su mettre en valeur les forces d’un projet, son patron vint à son bureau pour le féliciter. « Votre présentation sur l’avancement du nouveau projet nous a tous séduits. Bravo Claude pour votre rigueur. J’aimerais bien vous voir désormais en assurer le suivi et l’entière responsabilité. Nous en reparlerons à la prochaine réunion d’équipe. »
Lorsqu’il se retrouva seul, Claude se dit intérieurement: « Ils se rendront vite compte que je ne suis pas à la hauteur. Mes données n’étaient pas si rigoureuses. Je vais faire comme si de rien n’était. Ils vont probablement oublier ça rapidement et songer à quelqu’un d’autre. »
Le vilain petit canard déguisé en cygne
Le syndrome de l’imposteur est le résultat de pensées dépréciatives auxquelles on donne raison. Ces pensées deviennent un sentiment ennemi dirigé contre soi. De l’intérieur, la personne croit profondément que ses réussites sont dues à la chance, au hasard, à une erreur. Il lui est incapable d’établir sa valeur ou ses talents avec justesse et objectivité. La personne est persuadée d’être un vilain petit canard alors que tout le monde autour la voit comme un cygne.
Les personnes à risque
On mentionne parfois une plus grande représentation du syndrome de l’imposteur chez les femmes, mais les hommes seraient aussi à risque. Le syndrome de l’imposteur frapperait de 60 à 70% des gens à un moment donné de leur vie. Les personnes douées et les autodidactes seraient plus fortement représentés. Un gestionnaire parvenu à un poste de haute direction, sans diplôme universitaire et entouré de collaborateurs provenant de grandes écoles, pourrait facilement être visé.
Les milieux à plus forte représentation masculine pourraient aussi avoir dans leurs rangs des femmes visées par ce complexe. Le syndrome de l’imposteur pourrait aussi viser les perfectionnistes qui ont eu une progression de carrière très rapide. Ou encore, des personnes qui changent plusieurs fois d’orientation professionnelle au cours de leur vie, faute de pouvoir s’identifier.
Le contexte culturel et familial
Le fait de provenir d’une famille modeste, prolétaire ou désavantagée socialement peut donner le sentiment que son rôle professionnel ne résonne pas avec ses origines. La personne se perçoit alors comme n’étant pas à sa place. Être une fille dans une famille où l’on valorise les garçons, peut facilement conduire la personne à douter de ses capacités professionnelles. Un individu provenant d’un milieu où l’une des figures parentales était écrasante et qui n’a pas réussi à s’affranchir du sentiment de domination pourrait aussi être à risque.
Le doute raisonnable
Il est tout à fait pertinent de questionner ses compétences et objectifs lorsqu’on évalue son intérêt face à un nouveau poste ou en contexte de transition de carrière. Toutefois, chez la personne dont la vision du monde est teintée par syndrome de l’imposteur, le doute face à ses compétences peut la conduire à une variété de décisions navrantes. Démission, échec (ce qui renforce le syndrome) et plus grave, dépression ou épuisement professionnel sont des risques.
Les auteures du concept du syndrome de l’imposteur
Le syndrome de l’imposteur aurait été identifié vers la fin des années 70 par Pauline Rose Clance et Suzanne Imes, professeures de psychologie à l’université de Georgie aux États-Unis. C’était dans le cadre d’une recherche réalisée auprès de femmes cadres dirigeantes. Ce qui explique probablement que le syndrome a davantage fait son chemin du côté féminin que masculin. Elles voulaient comprendre pourquoi certaines cadres professionnelles se montraient incapables d’assumer leur réussite.
5 indices pour identifier le syndrome de l’imposteur chez une personne:
- Elle renie le succès car elle ne se sent pas à la hauteur des compétences qui lui sont reconnues. Croit qu’on ne mérite pas la promotion, les félicitations, le succès, à la suite d’un bon coup ou lors d’une progression professionnelle rapide. Attribue plutôt son succès à la chance, au hasard et se persuade qu’on va découvrir combien on s’est trompé à son sujet.
- Doute de ses compétences au moment d’une promotion vers un poste de direction. Ou, lors de l’attribution de nouvelles responsabilités. Ou encore, lorsque la personne doit superviser des gens qui ont des niveaux de scolarité supérieurs au sien.
- Remet à plus tard des décisions importantes. Non pas à cause d’indécision ou d’incompétence face à la tâche. C’est plutôt parce que la personne a le sentiment que ses décisions peuvent la mettre en situation d’être démasquée. Ou que l’on puisse voir au grand jour combien elle n’est pas à la hauteur.
- Prend la fuite au moment de rendre des comptes, de prendre la parole en public ou de se retrouver devant les feux de la rampe. La personne s’esquive, trouve un prétexte, nomme un remplaçant, annule, reporte ou prend congé. Elle a véritablement le sentiment qu’en réalisant la tâche qui la mettra en valeur, on verra bien qu’elle est un imposteur.
- Travaille de façon excessive. Elle devient exigeante face à elle-même, perfectionniste et travaille davantage, sans qu’on lui ait demandé de le faire. Ou bien, elle cumule une variété de formations. Parfois même, sans transférer ses acquis dans son milieu. Toujours sous la croyance qu’elle n’a pas assez de compétences.
L’importance de la connaissance de soi et de la pleine conscience
En apprenant à devenir conscient de ses pensées dévalorisantes et à les observer sans leur donner raison et sans jugement, on peut arriver à désamorcer ce conditionnement. Il peut être utile de valider ses perceptions auprès de collègues ou auprès de son supérieur immédiat. Souvent, ça replace les choses dans leur contexte et de façon objective.
Des liens avec notre culture franco-québécoise
C’est un trait assez franco-québécois de ne pas se sentir à la hauteur. Ou, de niveler vers le bas ou de croire que les autres sont bien meilleurs. Notre estime est souvent malade et cela nous empêche de célébrer nos victoires, les partager, les rendre visibles. Parfois, on préfère même les taire, comme si on en avait honte ou persuadé de ne pas y avoir droit. Malheureusement, tout ce qu’on ne valorise pas soi-même, on le projette sur autrui, dans notre environnement.
On en vient à avoir du mal avec le succès d’autrui, leur richesse, leur confiance en soi, leur courage aussi. Le syndrome de l’imposteur nous apprend combien la reconnaissance extérieure peut s’avérer sans valeur aucune, lorsqu’on ne se reconnait pas soi-même d’abord.
Références sur le syndrome de l’imposteur
Rose Clance, Pauline (1992). Le complexe de l’imposture : ou comment surmonter la peur qui mine votre sécurité, Flammarion.
Site de la psychologue Pauline Rose Clance (plusieurs références)
Manfred Kets de Vries (1995), Leaders, fous et imposteurs, Eska.
Cannone, Belinda (2009), Le sentiment d’imposture, Folio.
Beauduin, Andrée (2007), Psychanalyse de l’imposture, Le fil rouge.